Le 1er mai raconté par des témoins :
« Le 30 avril, après la soupe, le bruit courut que le général Palitzine devait venir le lendemain et qu’on voulait nous désarmer.
Voilà comment les choses se sont passées : nos gars avisèrent le général Lochvitsky que tous les soldats voulaient fêter le 1er mai. Il fut répondu de remettre la fête au lendemain, car ce jour-là devait arriver le général Palitzine et, pour lire l’ordre du Gouvernement provisoire, on devait rassembler le régiment sans arme. Les soldats n’ont pas obéi. Le 1er mai de bon matin, les compagnies se rassemblèrent d’elles-mêmes avec équipement complet et drapeaux rouges et tous nos officiers, Ivanoff en tête conduisit son bataillon à l’état-major du régiment. Quand les autres régiments arrivèrent, la musique joua et les soldats firent beaucoup de discours. Notre Nicolas P. parla au sujet de huit hommes qui ont été fusillés à Mailly* en présence du colonel Ivanoff et l’a forcé à demander pardon aux soldats. Au général Palitzine, il était présent, tous les soldats crièrent « à bas ! », « à bas ! », « nous ne voulons plus de vous ! », « à bas le vieux bureaucrate ! », et il s’empressa de filer (...). »
Service Historique de la Défense, extrait du contrôle postal, lettre d’un soldat, mai 1917.
*
« Devant les soldats au repos, le général Palitsine lit les dépêches du Gouvernement de Petrograd. Le colonel Ivanov a alors demandé pardon, s’est incliné devant tout le monde et il est descendu de la tribune. Les discours des orateurs ont ensuite recommencé. Tout le monde écoutait au pied de la tribune.
Voici que le général Palitsine et notre général de brigade Lokhvitski arrivent à cheval vers notre régiment. Le général Palitsine a mis pied à terre. Il est venu près des soldats et a demandé : « Permettez-moi de venir parmi vous. » On a dit : « Qu’il vienne ! » Il est arrivé, a écouté nos discours et a dit : « Messieurs les soldats, permettez-moi de vous lire l’ordre que j’ai apporté. » Nous l’avons autorisé : il en a fait la lecture. Les orateurs lui ont dit : « Nous connaissons cet ordre depuis longtemps et il est inutile de nous le lire, il y en a assez d’amuser la galerie ! » Ensuite, après ces paroles, il y a eu une succession d’orateurs qui ont fait des interventions contre lui et ont entrepris de lui rappeler les sanctions auxquelles il en avait tant rajouté. Et, à la fin, tous lui ont dit d’une seule voix : « A bas le vieux bureaucrate, à bas ! » Il a alors demandé : « Petits frères, permettez-moi de partir ! » On lui a accordé le passage et, derrière lui, tout le monde criait « A bas ! » Et il est reparti à cheval. Après, il y a eu à nouveau une série de discours concernant les besoins des soldats et chacun faisait connaître ce qu’il avait sur le coeur depuis des années, mais notre général consentait à tout et a dit : « Je ferai tout ce que vous exigez. »
Extrait du journal de Stéphane Ivanovitch Gavrilenko, ancien soldat de la 1ère brigade
- La situation dans les unités russes vue par le haut commandement, fin mai 1917.
La révolution russe et ses effets sur la conduite de la guerre ont créé entre les troupes russes de France et la population locale un malaise auquel il convient de porter remède sans retard ;
- 1) NECESSITE DE DONNER EXPLICATIONS A LA POPULATION LOCALE.
La population locale ne comprend pas ce qui s’est passé en Russie, et les conséquences qui se font sentir dans les troupes russes combattant en France.
Elle voit par exemple que ces troupes ont le drapeau rouge. Elles en tirent cette conclusion : c’est l’émeute et c’est la paix séparée. D’où une colère injuste contre des troupes qui repoussent précisément l’idée d’une paix séparée, et qui, après avoir récemment subi des pertes sensibles, sont accueillies, quand elles sont ramenées à l’arrière, par des injures. La population locale traite en effet les soldats russes de "traîtres", de "boches", etc. ...
LE REMEDE EST DE PUBLIER DANS LES JOURNAUX POPULAIRES DES ARTICLES QUI ECLAIRENT CETTE POPULATION ET DISSIPENT CE MALENTENDU NOUS AVONS DEJA ENTREPRIS DES DEMARCHES A CET EFFET.
- 2) NECESSITE DE DONNER DES INSTRUCTIONS SPECIALES AUX OFFICIERS ET SOLDATS FRANCAIS
Le même malentendu existe entre les troupes russes et les officiers et soldats français. Les Russes croient sentir l’hostilité des troupes françaises. Ils ne se trouvent en sympathie qu’avec les troupes noires auprès desquelles ils sont d’ailleurs appelés sans cesse à combattre.
ON ESTIME QU’IL SERAIT BON DE PLACER PLUS SOUVENT LES RUSSES PRES DE TROUPES PUREMENT FRANCAISES.
Les troupes françaises se sont habituées à tenir en mépris les soldats russes parce que les règlements de l’ancien régime, permettaient aux officiers de les battre. Les interprètes français ont souvent imité les officiers russes. Le soldat russe en a conservé une profonde rancune. Il a pardonné à ses officiers en estimant qu’ils avaient, comme lui, subi les lois du tsarisme, mais il n’a point pardonné aux interprètes français qui n’étaient nullement soumis aux lois du tsarisme et qui les frappaient par goût, par plaisir.
IL PARAIT UTILE D’IMPOSER SUR CES FAITS UNE ENQUETE SERIEUSE ET DE FAIRE DES EXEMPLES QUI DONNENT AUX RUSSES UNE JUSTE SATISFACTION.
De même les soldats russes répètent que, lors des récentes attaques, ils ont été mal soignés dans les ambulances et les hôpitaux français. Ils auraient été traités comme les blessés allemands. Toute la sollicitude serait allée aux blessés français. On affirme qu’un médecin major se serait laissé aller à frapper un blessé russe. Il n’est pas un soldat russe qui ne raconte cette histoire, c’est le grand scandale.
UNE ENQUETE S’IMPOSE, S’IL Y A LIEU, UNE SANCTION.
L’attitude des soldats russes envers les prisonniers allemands excite la protestation des soldats français. La question est délicate.
Le soldat russe, quand il a cessé de se battre, tend la main à l’ennemi prisonnier, rit avec lui, lui donne des cigarettes. Il ne conserve nulle haine après la lutte. Ce trait de caractère irrite le soldat français. D’où les discussions et souvent les rixes. Souvent les officiers français ne cherchent pas plus que leurs hommes à comprendre cette tournure d’esprit.
IL SERAIT BON DE DONNER AUX SOLDATS FRANCAIS DES ECLAIRCISSEMENTS SUR CE POINT.
LA QUESTION DU SALUT.
Depuis que la révolution russe a éclaté, des instructions venues de Pétrograd, prescrivent qu’en dehors du service, le soldat russe ne doit plus aux gradés et officiers les marques de respect extérieur. Il en résulte que le soldat russe qui ne salue plus ses officiers ne salue pas davantage les officiers français. Ceux-ci, parfois, exigent le salut. Le soldat russe s’y refuse. D’où discussions et violences.
IL SERAIT FACILE D’EXPLIQUER LA SITUATION AUX OFFICIERS ET GRADÉS FRANCAIS.
DECLARATIONS OFFICIELLES
D’une façon générale, il serait utile, pour dissiper les préventions de la population locale, et de nos soldats sur les troupes russes d’insister sur la façon dont elles ont combattu, de multiplier les récits qui les concernent, de citer leurs traits d’héroïsme, les résultats qu’elles ont obtenus, etc... etc...
- 3) NECESSITE DE REMONTER LE MORAL DES TROUPES RUSSES.
Tous ces malentendus dépriment le moral des soldats russes. Ils se sentent en France, dans une atmosphère hostile. Ils voudraient retourner en Russie.
Certes le départ de ces dix mille combattants n’affaiblirait pas notre front, mais l’effet moral serait déplorable et l’Allemagne ne manquerait pas d’exploiter cette rentrée de nos alliés dans leur pays.
Ses agents en Russie vont certainement chercher à tirer parti des doléances qu’apporteront les délégués des troupes russes combattant en France. Ils sont actuellement à Paris. Ils s’embarquent dans trois ou quatre jours. Ils vont dire au comité des ouvriers et soldats la situation de leurs frères en France et, de là-bas, ils leur télégraphieront leurs impressions sur la situation en Russie. Il est certain qu’ils rapporteront au comité des ouvriers et soldats les faits signalés plus haut.
NOUS ALLONS ESSAYER, PAR UNE INTERVIEW DES DELEGUES, DE LEUR DONNER UNE BONNE IMPRESSION AVANT LEUR DEPART.
NOUS ESPERONS QUE LES AGENTS DU GOUVERNEMENT FRANCAIS A PÉTROGRAD POURRONT AVOIR SUR EUX QUELQUE ACTION.
Les troupes russes sont actuellement au repos, et il est facile de constater qu’en France aussi bien qu’en Russie, chaque jour apaise les esprits, accroît la sagesse.
ON PRETE AU COMMANDEMENT LE PROJET DE REMETTRE BIENTOT CES TROUPES EN ACTION, IL SEMBLE QUE CE SERAIT UNE ERREUR.
Pour les encourager et les fortifier il ne faut pas leur envoyer des personnages officiels, des généraux. S’il y avait une personnalité du parti socialiste qui parlât leur langue, elle pourrait avoir sur eux une bonne action.
CERTAINEMENT UNE LETTRE D’UN TON FAMILIER DE PARLEMENTAIRES SOCIALISTES SERAIT D’UN HEUREUX EFFET/ NOUS ALLONS L’ETABLIR.
ON PREPARE D’AILLEURS, A L’INTENTION DE CES TROUPES, UN PETIT JOURNAL RUSSE QUI PARAITRA SOUS PEU.
CONCLUSIONS : NECESSITE D’UNE ACTION RAPIDE.
Mais il est nécessaire de parer, dès maintenant, aux graves inconvénients que signale cette note. On en excusera la rédaction hâtive. Nous avons été saisis de cette question hier 25 mai à six heures du soir, et il nous a paru qu’il fallait sans retard proposer une action même incomplète.
Samedi 26 mai 1917
Louis FOREST, et NOZIERE.
Note des Renseignements Généraux du 26 mai 1917 sur « les rapports entre les troupes russes et la population française » (S.H.D., 7N 754).