Le Tribunal Pacifiste était appelé à juger les généraux ayant organisés et exécutés plus de 740 condamnations à mort de soldats durant la première guerre mondiale.
À contre-courant des célébrations officielles du centenaire de 1914 : ce tribunal s’est tenu à Limoges , organisé par l’ Union pacifiste et le CIRA Limousin.
Le jugement final et autres détails sont disponibles sur le site de demilitarisation.org
Jean-Paul Gady a transmis la communication suivante pour plaider la cause des mutins de La Courtine , victimes emblématiques de la barbarie de la Grande Guerre :
Sa communication :
Communication au Tribunal Pacifiste de Limoges, 5 avril 2014
« La mutinerie des soldats du corps expéditionnaire russe en France en 1917 »
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les juges,
Citoyennes et citoyens
Ils avaient pour noms : Palitzine, Netchvolodov, Zankévitch, Narbout, Rakitin, Gothua, Rytov, Maroutchevsky, Kotovitch, Diakonov, Ivanov, Pétrov, Jdanov, Térékine, Réguéma, Lokhvitski, Comby
Ils étaient tous maréchaux, généraux, colonels. Ils étaient tous russes….. sauf le dernier, le Général COMBY qui lui était français. Mais lui, comme tous les autres que je viens de citer ont été membres des états majors qui en 1916 et 1917 ont humilié, battu, fait décimer et réprimer des milliers de soldats russes qui avaient été envoyés par le tsar Nicolas II combattre sur le front français.
Sans vouloir abuser de l’attention et de la patience de ce tribunal, je voudrais restituer le contexte historique ayant amené des milliers de soldats russes à se retrouver sur le sol français moins de 2 ans après le déclenchement de la grande boucherie.
Après un an et demi de guerre, les armées sur le front ouest sont déjà exsangues, car les pertes ont été effroyables : les offensives lancées face aux mitrailleuses adverses sur un front figé ont été meurtrières. Les forces s’équilibrent. Du côté des Alliés et en premier lieu en France le gouvernement a déjà fait appel par anticipation aux classes les plus jeunes. Les troupes coloniales ont également été sollicitées.
L’idée naît de « puiser » comme le disent les responsables politiques et militaires dans les « immenses réserves » du « réservoir » humain russe.
La Russie était entrée en guerre et était passée à l’offensive à l’été 1914 pour satisfaire aux exigences de l’impérialisme français et britannique auquel elle était soumise sur le plan financier et politique. Les négociations n’aboutirent qu’à l’envoi en avril 1916 de deux brigades, environ 20 000 hommes, en France et deux autres vers Salonique en Orient.
Si l’immense majorité des soldats d’une des deux brigades étaient d’origine paysanne et avaient déjà l’expérience du front, une partie importante de la « Première brigade » était formée d’ouvriers de la région de Moscou.
La révolte ouverte des unités russes a commencé au lendemain de l’échec de l’offensive Nivelle du 16 avril 1917, qui fit rappelons-le, 271 000 morts dont 6 000 soldats russes du corps expéditionnaire.
Pour les soldats du rang, la première expression de l’indignation et de la volonté de ne plus subir, fut le rejet du corps des officiers russes qui les encadraient, à commencer par le haut commandement, qui était l’expression directe du pouvoir tsariste.
Les soldats russes avaient eu lecture du Prikaze n°1 du soviet de Pétrograd, ce décret n° 1 qui indiquait dans ses articles 6 et 7 que le garde à vous au passage d’un supérieur et le salut militaire obligatoire étaient abolis hors du service et qu’étaient supprimées les formules décernées aux officiers du genre : « Votre excellence, votre noblesse », ces dernières étant remplacées par Monsieur le Général, Monsieur le Colonel. Mais aussi et surtout ce décret ordonnait que soit interdit désormais le tutoiement et les mauvais traitements des gradés à l’égard des soldats.
Les soldats s’emparèrent de l’Ordre n°1 décrété par le soviet de Petrograd pour créer, sur le front français, leurs propres comités de soldats. L’application de ce texte, qui entérinait la fin de la discipline de fer et la soumission des soldats aux officiers, sur le front français fut suivi avec la plus grande frayeur par les autorités françaises.
En avril, ces comités décidèrent que l’offensive de printemps serait la dernière à laquelle les unités russes participeraient. Au lendemain de son échec sanglant, au cours duquel les brigades russes perdirent je le rappelle 6 000 hommes en quelques jours, l’autorité des officiers fut jetée à bas.
Je citerai le témoignage de Stéphane Gavrilenko soldat de la 1ère Brigade, témoignage extraits de ses carnets écrits pendant la guerre et dont le fils Jean Gavrilenjko nous a autorisé la retranscription :
Voici ce qu’écrivait le soldat Stéphane Gavrilenko à propos des manifestations de son unité le 1er mai :
(…) Dans ces conditions, nos délégués ouvriers et soldats ont décidé, en accord avec les autres soldats, d’organiser coûte que coûte la manifestation du 1er mai, bien qu’il n’y ait pas d’autorisation. C’est ce qu’on a décidé.
Et voilà le 1er mai.
On savait dans tous les régiments, les compagnies et les détachements qu’on allait sortir en même temps, en uniforme de garde, vers l’endroit indiqué et qu’on allait inviter, sans faire d’exception, messieurs les officiers. Certains ont refusé de venir sans autorisation et sans ordre du commandement supérieur. Le colonel Ivanov a été du nombre. Il nous a dit de façon catégorique : "Si vous organisez ça, j’arrache mes galons et je les jette par terre !"(…)
Quand le colonel Ivanov a fait stopper le 1er bataillon sous prétexte de demander l’autorisation au chef de brigade de rallier les soldats et les officiers des autres bataillons, le 1er bataillon n’a pas voulu attendre l’ordre de son commandement et, avec à sa tête ses délégués et une minorité de ses officiers, s’est rendu à l’endroit qu’il devait rejoindre. (…)
Quand tous ont eu fait silence et ont eu formé les rangs, le premier orateur des délégués ouvriers et soldats à prendre la parole a été le camarade Kossouraïev, de la 9ème compagnie, qui a fait un discours enflammé, expliquant pourquoi et en l’honneur de quoi nous étions venus ici : "Pour fêter la liberté de notre Russie, honorer la mémoire de nos camarades tombés pour la liberté et pour ne pas oublier ceux qui sont enfermés dans les prisons dont les murs suintent de saleté." Son discours a été prononcé avec une telle émotion que personne ne pouvait retenir ses larmes.
Après lui, est intervenu le deuxième orateur, Tsiglov, qui a exprimé nos besoins, nos souffrances et a décrit les punitions venant de nos chefs qui se comportaient de façon si révoltante. A entendre un discours si beau, chaque soldat en avait l’âme retournée, tous avaient le visage en larmes. On avait envie de dire : "Voilà comment vous, scélérats que vous êtes, vous vous comportiez avec nous les soldats. Maintenant, regardez-nous les yeux dans les yeux. Qui de nous avait raison, qui était coupable ? Vous buviez notre sang, vous nous forciez à appeler blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc, mais le noir s’est levé devant les yeux des soldats, il s’est transformé en blanc, puis en rouge et soudain tout s’est obscurci comme dans l’épaisseur mortelle de la nuit !"
C’est alors que le colonel Ivanov arrive à la tribune : il a compris le caractère juste des paroles de nos délégués et il prononce un discours très long et tout à fait raisonnable et à la mesure des humiliations infligées aux soldats par les officiers et par lui-même. Il a dit : "Soldats, c’est l’ancien régime qui nous y obligeait, c’était une grande injustice !" Et il a ajouté : "Vive la Russie libre ! Vive l’armée révolutionnaire ! Hourra !" Un bruyant hourra a répondu au sien.
Lui a succédé le député de notre 10ème compagnie, Polikarpov, qui a salué ses camarades soldats et messieurs les officiers. Il nous a ensuite fait un discours : "Camarades, quelle joie se manifeste chez nous, en Russie ! Une joie qui est parvenue jusqu’à nous. Mais nous ne devons pas oublier les camarades morts pour rien, ceux qu’on a fusillés dans les camps de Mailly, pour des actions réelles ou supposées. Nous ne devons pas oublier que lorsqu’ils sont venus de Russie, ils avaient avec eux un colonel, un véritable Allemand, qu’ils avaient repéré et qui voulait même les faire jeter à la mer. Tremblants de tout leur corps, ils avaient enduré toutes les punitions, tous les tourments qu’il leur avait infligés. Et lorsqu’ils ont eu atteint le lieu de débarquement à Marseille, là, après toutes les souffrances supportées pendant la traversée, ils ont décidé de le tuer. Lorsque qu’il est descendu du bateau, ils l’ont empoigné et il a été tué aussitôt. Mais on s’est emparé sur le champ de ces camarades. Tout le régiment était dans le coup, mais huit hommes ont été considérés comme coupables et le colonel Ivanov les a fait passer devant un tribunal.
Je dois dire une chose : si le colonel Ivanov a conscience de sa faute, qu’il vienne à ma place et que, face à tout le régiment, il demande pardon à ceux qu’il a fait fusiller."
Le colonel Ivanov a alors demandé pardon, s’est incliné devant tout le monde et il est descendu de la tribune. Les discours des orateurs ont ensuite recommencé. Tout le monde écoutait au pied de la tribune.(…)
Voici que le général Palitsine et notre général de brigade Lokhvitski arrivent à cheval vers notre régiment. Le général Palitsine a mis pied à terre. Il est venu près des soldats et a demandé : "Permettez-moi de venir parmi vous." On a dit : "Qu’il vienne !"
Il est arrivé, a écouté nos discours et a dit : "Messieurs les soldats, permettez-moi de vous lire l’ordre que j’ai apporté." Nous l’avons autorisé : il en a fait la lecture. Les orateurs lui ont dit : "Nous connaissons cet ordre depuis longtemps et il est inutile de nous le lire, il y en a assez d’amuser la galerie !"
Ensuite, après ces paroles, il y a eu une succession d’orateurs qui ont fait des interventions contre lui et ont entrepris de lui rappeler les sanctions auxquelles il en avait tant rajouté. Et, à la fin, tous lui ont dit d’une seule voix : "A bas le vieux bureaucrate, à bas !"
II a alors demandé : « Petits frères permettez-moi de partir !" On lui a accordé le passage et, derrière lui, tout le monde criait : "A bas !" Et il est reparti à cheval.
Les délégués ont dit ensuite : "Retournez à vos locaux de cantonnement et n’oubliez pas de chanter et que l’orchestre joue le nouvel hymne : Peuple debout, soulève-toi ! et la marche funèbre : Vous êtes tombés pour la patrie. » (…)
Fin de citation du carnet du soldat de la Première Brigade Stéphane Gavrilenko.
Ainsi, après avoir publiquement conspué le commandant des troupes russes en France et manifesté le 1er mai 1917, les unités furent déplacées une première fois dans les Vosges, puis dans la Creuse, la 1ère Brigade étant installé dans ce camp militaire le 26 juin 1917.
Au même moment où les soldats russes se révoltaient, l’armée française était touchée par une vague de mécontentement, de colère et de mutineries d’une profondeur et d’une étendue sans précédent depuis août 1914. Le refus de combattre des soldats russes sur le front français et leur exigence de rapatriement étaient donc un élément parmi d’autres de la décomposition en marche des armées au cours du printemps 1917. Les témoignages en sont nombreux comme celui extrait du magnifique livre « Les carnets de guerre de Louis Barthas » qui était un tonnelier de l’Aude et qui était socialiste :
Le soldat Barthas écrit sur son cahier :
(…) En ce moment éclata la révolution russe. Ces soldats slaves, hier encore pliés, asservis à une discipline de fer, allant aux massacres comme des esclaves résignés, inconscients, avaient brisé leur joug, proclamé leur liberté et imposaient la paix à leurs maîtres, à leurs bourreaux. Le monde entier était stupéfait, pétrifié de cette révolution, de cet écroulement de cet immense empire séculaire des tzars. Ces événements eurent leur répercussion sur le front français et un vent de révolte souffla sur presque tous les régiments.
Il y avait au bout du village un débitant de boisson pour qui la guerre n’apportait que profit.(…) Des soldats chantaient et divertissaient leurs camarades par leurs chants ou facéties comiques mais un soir un caporal chanta des paroles de révolte contre la triste vie de la tranchée, de plainte, d’adieu pour les êtres chers qu’on ne reverrait peut-être plus, de colère contre les auteurs responsables de cette guerre infâme, et les riches embusqués qui laissaient battre ceux qui n’avaient rien à défendre.
Au refrain, des centaines de bouches reprenaient en chœur et à la fin des applaudissements frénétiques éclataient auxquels se mêlaient les cris de « Paix ou Révolution ! A bas la guerre ! », etc., « Permission ! Permission ! ».
Un soir, patriotes voilez-vous la face, L’Internationale retentit, éclata en tempête.
Le 30 mai à midi, il y eut même une réunion en dehors du village pour constituer à l’exemple des Russes un « soviet » composé de trois hommes par compagnie qui aurait pris la direction du régiment.
A ma grande stupéfaction, on vint m’offrir la présidence de ce soviet, c’est-à-dire pour remplacer le colonel, rien que ça ! (…)
Je rédigeai un manifeste à transmettre à nos chefs de compagnie protestant contre le retard des permissions. Il débutait ainsi : « La veille de l’offensive, le général Nivelle a fait lire aux troupes un ordre du jour disant que l’heure du sacrifice avait sonné... Nous avons offert notre vie en vue de ce sacrifice pour la Patrie, mais qu’à notre tour nous disions que l’heure des permissions avait sonné depuis longtemps », etc.
La révolte était placée ainsi sur le terrain du droit et de la justice. Ce manifeste fut lu par un poilu à la voix sonore, qui s’était juché à califourchon sur une branche de chêne ; des applaudissements frénétiques soulignèrent les dernières lignes.(…)
Dans l’après-midi l’ordre de départ immédiat fut communiqué ; la promesse formelle était faite que les permissions allaient reprendre dès le lendemain à la cadence de seize pour cent sans arrêt. Les autorités militaires, si arrogantes, autoritaires avaient dû capituler.
A trois heures du soir, par un brûlant soleil, on quitta Daucourt. A cinq heures, le régiment traversa Sainte-Menehould où des événements tragiques venaient de se dérouler. Deux régiments venaient de se mutiner et s’étaient emparés de la caserne en criant : « Paix ou Révolution ! »
Le général X étant allé essayer de les haranguer fut empoigné, collé au mur et allait être fusillé lorsqu’un commandant très aimé de ses hommes réussit à sauver le général et à obtenir que les révoltés se laissent conduire au camp de Chalons pour jouir d’un long repos.
Le lendemain soir, à sept heures, on nous rassembla pour le départ aux tranchées. De bruyantes manifestations se produisirent, cris, chants, hurlements, coups de sifflets ; bien entendu, L’Internationale retentit ; si les officiers avaient fait un geste, dit un mot contre ce chahut, je crois sincèrement qu’ils auraient été massacrés sans pitié tant l’exaltation était grande.(…)
Fin de citation de l’extrait des carnets de Louis Barthas.
Cette crainte de l’onde de choc des mutineries russes et de la contagion aux unités françaises, explique en grande partie l’éloignement des deux brigades russes vers un camp de l’intérieur, situé à plusieurs centaines de kilomètres du front, dans la Creuse, à La Courtine.
Loin de l’effervescence de la Russie en ce printemps et cet été 1917, les soldats du corps expéditionnaire vécurent une expérience unique sur le front occidental. Pendant trois mois, une partie d’entre eux, réunis, avec leurs armes, au camp de La Courtine, refusèrent de se rendre et de se soumettre aux ordres du gouvernement provisoire et de leurs officiers. Bien mieux, ils renvoyèrent ces derniers et s’organisèrent autour de leurs comités.
Les soldats organisèrent leur casernement, ils défilèrent aux ordres de simples soldats. Et surtout, ils discutèrent de toutes les questions de l’heure : la guerre, le partage des terres en Russie, le pouvoir des soviets, la trahison du gouvernement provisoire qui les abandonnait et voulait qu’ils obéissent de nouveau aux officiers.
Ces trois mois au camp de La Courtine s’achevèrent lorsque l’assaut fut donné le 16 septembre sur les quelques dix mille mutins qui s’y trouvaient encore retranchés, le combat cessa le 19 septembre au matin.
Qui étaient les assaillants ?
Il y avait des artilleurs appartenant à une unité russe qui se dirigeait alors vers le front d’Orient. Il y avait ensuite une fraction du corps expéditionnaire russe restée sous l’influence de son commandement. Cela n’avait pas été sans mal. Et il avait fallu séparer le corps expéditionnaire en deux, expédier une des deux brigades, la plus loyale, près de Bordeaux, pour éviter qu’elle ne sombre à son tour dans la révolte ouverte. Au total, plus de cinq mille hommes encerclaient le camp.
L’armée française fournit une aide matérielle importante à la préparation de l’assaut. Elle mobilisa cinq mille soldats formant un deuxième cordon autour du camp de La Courtine, au cas où les unités russes chargées de l’assaut échoueraient dans leur tâche. L’assaut fut donc une véritable opération militaire, avec canons de 75, mitrailleuses et mouvements de troupes soigneusement préparés. C’est un cas unique dans l’histoire de la guerre et des mutineries. Une mini guerre civile se déroulait à plusieurs milliers de kilomètres de Petrograd, au moment même où les forces de la révolution et de la contre révolution s’opposaient violemment.
Dans ce combat armé, le rôle des autorités françaises fut prépondérant, malgré la volonté affirmée par le gouvernement de ne pas intervenir dans les affaires russes. C’est le Général Comby dirigeant la XIIème région militaire qui assura la préparation et la mise en œuvre de la répression des 10 300 soldats mutinés de la première Brigade qui reçurent pas moins de 800 obus en 3 jours.
La révolution d’octobre survenant après la répression de la mutinerie et la mise en place des compagnies de travail, elle fut accueillie avec un enthousiasme général parmi les soldats russes survivants. La seule mine défaite des officiers russes et français aurait presque suffi à faire leur bonheur.
Mais ce n’est pas seulement ce sentiment d’être en quelque sorte vengés qui prévalait. Dans leur courrier, les soldats exprimaient une adhésion aux idées mêmes de la révolution : le pouvoir aux travailleurs, l’égalité, l’entente entre les peuples. Prisonniers, otages de l’impérialisme français, ils jugeaient avec une grande justesse la responsabilité du gouvernement français dans leur situation.
Quand ils pourront enfin obtenir leur rapatriement à partir de 1919, seules quelques centaines demanderont à ne pas être rapatriés dans les territoires sous contrôle soviétique, malgré deux ou trois années d’une propagande systématique menée par les représentants de l’ancien pouvoir tsariste ou de Kérenski, épaulés par les autorités françaises.
Personne évidemment ne peut dire si les mutineries dans l’armée française étaient d’une profondeur telle qu’elles auraient pu se traduire par une remise en cause du pouvoir et déboucher sur une situation révolutionnaire. Mais les dirigeants français avaient en tous cas compris le rôle qu’aurait pu jouer dans ce sens, même indirectement les soldats du corps expéditionnaire russe. Et cela n’a pas de sens de dire, comme la majorité des historiens, que les mutineries en France n’étaient pas « politiques », voire qu’elles ne remettaient même pas en cause la guerre elle-même. A ce compte là, les manifestations de femmes à Paris au printemps 1789 ou à Petrograd en février 1917 n’étaient pas non plus politiques puisqu’elles ne contestaient en apparence que la vie chère et les spéculateurs.
C’est graduellement, à la suite des leçons qu’ils ont tiré de l’attitude des uns et des autres à leur égard, que les soldats du corps expéditionnaire sont passés d’un soutien au gouvernement provisoire à son rejet total, puis ont basculé dans le camp des bolcheviks.
Cette mutinerie d’une ampleur sans équivalent sur le front occidental pendant la guerre nous apporte une série de réponses à tous les détracteurs de la révolution russe.
Elle montre, notamment par l’examen de la correspondance des soldats, qu’il s’agissait d’un mouvement extrêmement profond, touchant unité après unité, homme après homme la totalité de la troupe.
Et ce que révèle la lecture des lettres des soldats, c’est cette fantastique transformation des consciences de la population laborieuse, placée de force sous l’uniforme, mêlant ainsi côte à côte paysans et ouvriers, jeunes et moins jeunes. Malgré la répression, la dispersion des unités en multiples détachements, la déportation de milliers d’hommes en Algérie, l’enfermement fréquent des hommes suspectés de jouer un rôle d’agitateur et de meneur, la propagande contre révolutionnaire incessante qu’ils subissaient, les anciens soldats du corps expéditionnaire russe étaient devenus des défenseurs déterminés de la révolution d’octobre.
La mutinerie des soldats russes sur le sol français en 1917 a ainsi écrit une de plus belles pages de l’histoire du pacifisme, de l’antimilitarisme et de l’internationalisme des peuples. La stèle érigée en septembre 2012 au cimetière de La Courtine à l’initiative des libres penseurs creusois et la constitution en janvier dernier de l’association « La Courtine 1917 », poursuivent l’objectif de rendre à ces mutins l’hommage qu’ils méritent et de faire connaître et vivre leur grandiose épopée.
Je vous remercie.
Jean-Paul Gady,
Adhérent de la Libre Pensée et de l’association « La Courtine 1917 »
30 mars 2014