par Christophe
Les compagnies de travail vues par les soldats :
- Lettre de novembre 1917
« Leur liberté est une liberté bourgeoise, car on ne voit que des gendarmes ! Les épaulettes dorées ont des droits spéciaux. Je suis persuadé qu’il y aura encore une révolution en France ».
- Lettre de janvier 1918
« Est-il possible qu’on ait oublié que sous le fort de Brimont, nous avons laissé plus de deux-mille des nôtres pour la défense de la France. Nous avons tenu les tranchées plus de onze mois sans être relevés et maintenant voilà la récompense qu’on nous donne ».
- Lettre d’avril 1918
« Camarades, nous allons agir ! Nous vous proposons de cesser le travail lundi 1er avril. Vous devez cesser le travail tous le même jour pour donner de la valeur à nos actes. Avant tout, nous vous demandons la solidarité ; nous sommes peu nombreux et seule notre union dans l’action garantira le succès. Unissons tous nos efforts, brisons nos chaînes ! Unissez-vous camarades ! Commencez la lutte pour la Liberté ! Souvenez-vous du 1er avril ! Vive la Russie libre ! Prière de nous informer tout de suite si vous acceptez notre proposition.
N.B. Je vous envoie cette proclamation qui, je crois, vous touchera. Lisez-la aux camarades et expliquez-la leur, pour que chacun sache bien ce qu’il en est. Je sais que tous seront d’accord. Ne donnez cette proclamation à personne, déchirez-la plutôt ».
- Lettre d’avril 1918
« Camarades, l’heure de la lutte pour notre liberté a sonné ! A bas le joug bourgeois ! Vous, citoyens russes, secouez le joug séculaire ! Ne ployez pas sous le joug étranger ! Voulez-vous continuer à travailler pour les bourgeois français, alors que vos familles souffrent sans vous de la faim ? (...)Camarades, plusieurs groupes ont déjà répondu à notre appel, et un de ces groupes, le 12ème, exige notre renvoi en Russie. Camarades, soutenez la grève du 1er avril ! Quittez votre travail et venez à Auxerre ! Plus nous seront nombreux, et plus notre réclamation aura de force. En avant ! »
- Lettre de mai 1918
« On nous force à travailler le dimanche, mais nous refusons. Ils nous disent que, si nous ne travaillons pas le dimanche, ils nous enverront en Afrique. C’est justement ce que nous voulons. Que les Français travaillent le dimanche, nous, nous ne travaillerons pas ».
Toutes ces lettres sont extraites des commissions de contrôle postal (Service Historique de la Défense)
Quelques commentaires des responsables français du contrôle postal à propos des travailleurs russes :
- mai 1918
« Ces plaintes ne sont dans l’ensemble nullement fondées. Nous avons au contraire l’impression que les travailleurs sont trop bien traités et qu’ils ne sont pas soumis à une discipline assez sévère. »
- mai 1918
« Les plaintes (...) émanent pour la plupart d’individus grossiers, ignorants et paresseux qui vivaient en Russie dans les conditions matérielles les plus misérables ».
- juin 1918
« Il y en a qui se plaignent, naturellement, c’est dans le caractère russe, ils se plaindront toujours. Comme le mendiant au bout du pont, ils répètent éternellement leur antienne pour apitoyer, pour se consoler, pour avoir quelque chose à dire ; ils n’ont même pas l’espoir d’être entendus parce qu’au fond d’eux-mêmes ils savent que leurs plaintes ne sont qu’à moitié justifiées, c’est peut-être un mot d’ordre : les geignards sont toujours les mêmes ou dans la même proportion ».
Service Historique de la Défense, extraits des archives des commissions militaires de contrôle postal.
Lettres de soldats déportés en Algérie
« On nous a embarqués (...) dans la cale d’un navire et on nous a débarqués en Afrique où nous sommes sous bonne garde. Le commandement est très bon et très sympathique. On ne nous laisse pas sortir du fort. En un mot, nous sommes de libres citoyens dans un libre pays ».
Service Historique de la Défense, extrait du rapport de la commission militaire de contrôle postal d’Alger, mars 1918.
« Mes chers parents, je vous annonce que nous sommes en Afrique depuis janvier, nous étions dans le Sahara, on nous oblige à creuser la terre et à assécher un marécage. On nous donnait deux livres de pain par jour et on nous faisait travailler dix heures. (...)On nous faisait porter des pierres et nous avons refusé de travailler, alors on nous a expédiés au bataillon de discipline et quelques uns ont été envoyés dans les plaines. On laissait crever de faim tous les soldats qui ont commencé à tomber sur le sol, alors on les a attachés à la queue des chevaux et on les a fait courir dans la plaine, un est mort. Au bataillon où on nous a conduits on nous donne deux livres de pain pour six, on nous fait souffrir comme cela depuis 38 jours, on nous a privés de soupe, on ne nous donne que de l’eau, nous couchons sur un parquet de ciment et on nous oblige à nous engager à la Légion. Tous on nous laisse crever de faim et nous sommes tellement épuisés que nous ne nous levons pas, il y en a un qui est mort ces jours-ci ».
Service Historique de la Défense, extrait du rapport de la commission militaire de contrôle postal d’Alger, août 1918.