Discours de Jean-Louis Bordier, Président de l’association La Courtine 1917 le 25 juin 2016 au cimetière de La Courtine devant la stèle en hommage aux soldats russes mutinés en 1917
Madame le Maire adjoint
Mesdames de Messieurs les Elus
Mesdames et Messieurs les Présidents d’Associations
Mesdames, Messieurs chers amis,
Je souhaite tout d’abord remercier Monsieur le Maire, Jean-Marc Michelon, Madame Marcelle Prieur maire adjointe et l’ensemble du Conseil municipal pour leur aide et le soutien efficace qu’ils apportent à notre association pour la mémoire et la connaissance de l’histoire des soldats russes mutinés à La Courtine.
Monsieur Jean Marc Michelon Maire de La Courtine, Madame Valèrie Simonet Présidente de Conseil Départemental de la Creuse, Monsieur Jean Jacques Lozach Sénateur de la Creuse ont demandé à être excusés, retenus par d’autres obligations.
Nous voici réunis à nouveau devant cette stèle. La première fois c’était il y a un peu plus de 3 ans, le 15 septembre 2012, lors de son inauguration organisée par la Libre pensée de la Creuse.
Je me souviens très bien du discours émouvant qu’Eric Molodtzoff avait prononcé sur le périple de son grand père soldat russe de la 1ère brigade. Il était alors le seul descendant de soldat russe à être présent à cette inauguration.
Et puis considérant que nous ne pouvions avoir comme seul objectif de venir fleurir ce monument une fois l’an, l’association La Courtine s’est constituée en janvier 2014, plus d’une année après l’inauguration de cette stèle et rapidement elle a cherché à retrouver d’autres descendants, à approfondir les zones d’ombres ou inexplorées de l’histoire du corps expéditionnaire russe et de la mutinerie.
En un peu plus de 2 années d’existence beaucoup a été fait par La Courtine 1917, non seulement des hommages et cérémonies ici à La Courtine mais à travers une trentaine de conférences qui ont eu lieu dans une quinzaine de départements en France. Egalement deux numéros de la revue de notre association Les cahiers de La Courtine ont été édités et tout dernièrement s’est tenu comme vous le savez un colloque scientifique à Marseille pour commémorer le centième anniversaire du débarquement des troupes russes, le 20 avril 1916 dans le port de cette ville.
A ce colloque Eric Molodtzoff n’était plus le seul descendant à être présent. Il était entouré de 11 autres fils, petits fis ou arrières petits fils ou filles de ceux qui étaient passés par la Courtine en 1917, les soldats de la 1ère brigade ou de la 3ème brigade.
Que de chemin parcouru en 2 ans par notre association, que de travail réalisé !
A ce moment de ma prise de parole, je souhaite signaler et sans esprit polémique envers qui que ce soit, que les hommages, les discours et les dépôts de gerbe se suivent mais ne se ressemblent pas forcement…
Deux semaines après notre colloque à Marseille le 30 avril dernier où dans l’auditorium du Musée d’histoire avaient résonné le besoin imprescriptible de fraternité, de pacifisme des peuples et l’exigence de paix contre toute aventure guerrière, était organisé le 12 mai un autre hommage aux soldats du corps expéditionnaire dans cette même ville de Marseille.
L’ambassade russe avait invité notre association à y participer et notre ami l’historien Jean-Yves Le Naour y a représenté La Courtine 1917. Cérémonie très protocolaire avec les autorités de la ville de Marseille où fut vanté la bravoure et l’abnégation des soldats russes sur le front français, mais au cours de laquelle ne fut nullement évoqué la résistance de ses soldats à la poursuite de la guerre après l’offensive Nivelle, leur exigence de paix, point d’évocation non plus des comités de soldats qui se créèrent et encore moins de la mutinerie et de sa répression.
Ainsi une partie de l’histoire des soldats russes est volontairement tue, occultée et il n’y aurait droit de citer que les batailles militaires et la valorisation des faits d’armes.
Oui, les hommages se suivent et ne se ressemblent pas et on le voit pour ce qui concerne la véritable histoire du corps expéditionnaire russe, le rôle de notre association est devenu irremplaçable.
Pour en revenir à la mutinerie de La Courtine, comme vous le savez, le 16 septembre 1917, l’assaut fut donné au camp de La Courtine et aux dix mille soldats qui y étaient encore retranchés par 3500 soldats russes les entourant, protégés dans leur progression par près de 5000 soldats français. Après trois jours de combats à coups de canon et de mitrailleuses, la reddition des mutins fut obtenue. L’ordre régnait à La Courtine. Officiellement, au prix d’une dizaine de morts et de quelques dizaines de blessés.
Durant l’automne qui suivit, l’ensemble des soldats russes furent sommés par les autorités françaises de choisir entre le retour au front, derrière leurs officiers et sans soviets, et leur incorporation dans des compagnies de travail réparties sur le territoire français. Une infime minorité constitua alors une « Légion des Volontaires » qui combattit jusqu’à l’Armistice. Unité à l’intérieur de laquelle fut ultérieurement recrutée une unité destinée à se battre en Russie derrière les anciens officiers du corps expéditionnaire et aux côtés des généraux de la contre-révolution.
La majorité des anciens membres des brigades consentit à travailler au sein de détachements appelés « compagnies de travailleurs volontaires ». Répartis dans les différentes régions de la Métropole, ces groupes furent placés sous étroite surveillance.
Mais plusieurs milliers refusèrent ce faux choix et furent déportés en Algérie au titre de « travailleurs forcés » ou « d’irréductibles ».
Quant aux dirigeants de la mutinerie du camp de La Courtine, ils furent jetés dans les geôles du fort Liédot, sur l’île d’Aix. A ce propos vous pourrez prendre connaissance du Hors série des Cahiers de La Courtine que notre association a édité en avril dernier avec la collaboration de l’historien Rémi Adam, hors série qui relate retrace la détention de ceux qui furent les principaux responsables des comités de soldats et du soviet de La Courtine.
Tous furent retenus pendant plus de deux années en otages par le gouvernement français qui refusa sous le prétexte d’un manque de navires toute mesure de rapatriement. Il n’était pas question pour lui de répondre favorablement aux demandes en ce sens du nouveau pouvoir bolchevik, alors même qu’il participait au combat auprès des Armées Blanches pour l’abattre.
Je voudrais revenir brièvement sur ces questions de pacifisme, de paix, de concorde entre les peuples, questions que j’ai déjà évoquées à propos des hommages qui ont eu lieu à Marseille, valeurs et principes qui sont vraiment au cœur de tout ce qui guide notre association.
Après la répression, dans leurs lettres écrites d’Algérie ou de France, les soldats russes exprimèrent fréquemment leur volonté d’une paix « universelle ». En voici trois exemples parmi les très nombreuses qui ont été récemment publiées.
La première :
« Quelles que soient les exactions, les tortures auxquelles ils nous soumettent, ils ne nous verront pas tels qu’ils le veulent. Nous serons fermes jusqu’au bout et nous défendrons jusqu’à la mort les idées de notre libre patrie. Vive la Liberté universelle des Peuples ! Vive la paix générale et démocratique pour tous les peuples ! » (Alger, février 1918)
Seconde lettre :
« Quand donc nous délivrerons-nous de ce militarisme qui est la cause de nos souffrances ? Il place tous les peuples sous le joug, tout comme si l’on ne pouvait pas vivre tous en paix. Il y a de la place pour tout le monde sur la terre !
Mais il y a des gens qui ont besoin de s’enrichir, d’opprimer les autres, c’est à ceux-là que profite le militarisme. Le peuple ne sera jamais heureux tant que les soldats existeront ». (Alger, mars 1918)
Une troisième lettre :
« La paix a été signée par la Russie, écrit l’un d’eux. Nous sommes heureux ! Finie l’horrible boucherie commencée par Nicolas et sa suite pour pouvoir se baigner dans le sang. Maintenant il ne faut plus de guerre ! Tout le monde doit vivre en paix ! Le genre humain n’a pas besoin de s’entretuer. Plus de guerre ! » (Alger, mars 1918)
Les soldats que les autorités françaises avaient fait défiler dans les rues de Marseille en avril 1916 et de Paris le 14 juillet de cette même année et avaient montré en exemple leur dévouement et leur ardeur patriotique étaient devenus en une année des pacifistes convaincus et des soutiens sans faille des transformations sociales et politiques dans leur pays, la Russie
La mutinerie des soldats russes sur le sol français en 1917 a ainsi écrit une de plus belles pages de l’histoire du pacifisme, de l’antimilitarisme et de l’internationalisme des peuples. Et c’est rendre toute sa place à cette histoire du pacifisme et du refus de la guerre qui guide l’action de l’association que nous avons constituée il y a deux ans et demi. C’est ce qui va guider nos débats à notre assemblée générale d’adhérents cette après midi en particulier concernant le projet d’organiser trois jours d’initiatives ici dans cette ville et dans les communes voisines les 16, 17 et 18 septembre 2017 aux dates anniversaires du centenaire de la répression de la mutinerie de la Courtine.
Nous souhaitons que ces débats et décisions à venir permettent d’organiser ces évènements en partenariat avec la municipalité, la communauté de commune, en partenariat avec d’autres collectivités publiques ou associations qui le souhaiteraient.
Au cours de ces 3 jours et voir plus, pourraient se succéder des conférences, des concerts, des films, des pièces de théâtre, des créations artistiques, des rencontres littéraires, etc…associant ainsi les habitants de la commune, du département de la région et d’ailleurs en France à un grand hommage au pacifisme, à l’internationalisme et à la paix des peuples.
Un grand projet enthousiasmant qui aura besoin du soutien et de l’implication du maximum de nos adhérents et de tous ceux qui voudront bien s’y impliquer.
Nous allons maintenant déposer une gerbe devant cette stèle érigée je le rappelle grâce à l’action menée par la fédération de la Creuse de la Libre Pensée et les Libre Penseurs que je tiens ici également à remercier une nouvelle fois.
Merci à vous tous et à tout de suite pour celles et ceux qui nous rejoignent au restaurant le Petit Breuil, rendez-vous à cette après midi pour ceux qui assistent à l’assemblée générale annuelle et à vous tous rendez-vous pour le spectacle à17h30 à la salle polyvalente « Thomas Gagnepain, soldat de la grande guerre » la destinée racontée d’un paysan de l’Indre dans la grande guerre.